Avant de s’imposer définitivement comme un maître du thriller politique et social (El Reino, Antidisturbios) ou du drame tendu (As Bestas, Madre), Rodrigo Sorogoyen frappait fort en 2016 avec ce polar étouffant. Nous y suivons deux flics aux antipodes, portés par un duo d’acteurs magistral : Antonio de la Torre, caméléon du cinéma ibérique, ici en enquêteur névrosé et bègue ; face à lui, un Roberto Álamo en brute opaque dont les fissures laisseront pourtant filtrer une once d’humanité. Derrière leur traque macabre d’un tueur de vieilles dames, Sorogoyen ausculte la toxicité masculine sous toutes ses formes - exacerbée ou étouffée - et dépeint des hommes incapables d’affronter leurs émotions, qu’ils soient flics ou criminels. Peut être l’un des nombreux rouages d’une Espagne en crise, avec cette Madrid suffocante sous la chaleur, secouée par la venue du pape et minée par des tensions sociales prêtes à éclater. Le film dissèque donc la violence du crime autant que celle, plus souterraine, des hommes et d’une société au bord de l’implosion.